Les Jardins Royaux : Versailles vs les Jardins Secrets de Joseon

Introduction : Deux Visions du Paradis sur Terre

Imaginez deux jardins royaux. Le premier, Versailles, s’étend à perte de vue avec ses parterres géométriques, ses fontaines monumentales et ses allées rectilignes où chaque arbuste semble dompté par la volonté humaine. Le second, un jardin secret de Joseon, se cache derrière des murs de pierre, où chaque rocher, chaque étang et chaque pin semble inviter à la méditation plutôt qu’à l’émerveillement ostentatoire. L’un est une démonstration de pouvoir absolu sur la nature ; l’autre, une quête d’harmonie avec elle. Ces jardins, bien plus que de simples espaces verts, étaient des manifestations des valeurs et des ambitions de leurs royaumes respectifs. Plongeons dans ces univers opposés, où chaque fleur, chaque arbre, raconte une histoire de politique, de culture et de philosophie.

Plan de Versailles (1776) – source: Gallica

Versailles : La Nature Domptée par le Roi-Soleil

Quand Louis XIV décide de faire de Versailles le cœur de son royaume, il ne se contente pas de construire un palais : il façonne un monument à sa gloire, où la nature elle-même doit se soumettre. Les jardins de Versailles, conçus par André Le Nôtre, sont une œuvre d’art totale, où chaque élément est calculé pour impressionner.

  • Géométrie et Symétrie : Les parterres à la française, avec leurs broderies de buis et leurs motifs complexes, reflètent l’ordre et la raison. Ici, rien n’est laissé au hasard. Les allées rectilignes, les bosquets taillés au cordeau et les fontaines spectaculaires (comme celle d’Apollon) symbolisent le contrôle absolu du roi sur son royaume – et sur la nature.
  • Les Fontaines : Le Pouvoir en Mouvement : Avec plus de 1 400 jets d’eau, les fontaines de Versailles ne sont pas seulement décoratives. Elles illustrent la maîtrise technique et financière de la France, tout en rappelant les mythes antiques qui légitiment le pouvoir royal. La Grande Perspective, qui s’étend sur 3 kilomètres, force le visiteur à tourner les yeux vers le palais, rappelant que tout converge vers Louis XIV.
  • Un Lieu de Spectacle : Les jardins étaient le cadre de fêtes somptueuses, comme les Grandes Eaux Musicales, où la cour se rassemblait pour admirer des jets d’eau synchronisés avec de la musique. Même la nature devait divertir et éblouir.

Versailles n’était pas seulement un jardin : c’était une machine à impressionner. Les ambassadeurs étrangers, les nobles et le peuple y voient la preuve que la France – et son roi – dominent même les éléments. La nature y est un décor, un accessoire du pouvoir.

Les Jardins de Joseon : L’Harmonie Confucéenne

Des Espaces de Méditation et de Sagesse

En Corée, les jardins royaux et ceux des yangban (nobles) étaient conçus selon des principes radicalement différents. Inspiré par le confucéanisme et le taoïsme, le jardin coréen cherche à créer une harmonie entre l’homme et la nature, plutôt qu’à la dominer.

  • Le Jeongja, ou Pavillon de la Pureté : Dans les jardins de Joseon, comme celui du palais Changdeokgung (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO), chaque élément a une signification symbolique. Les étangs reflètent le ciel, les rochers représentent les montagnes sacrées, et les pins, symbole de longévité, sont disposés pour évoquer des paysages naturels.
  • Le « Jardin Secret » (Piwon) : Contrairement à Versailles, ouvert à la cour et aux visiteurs, les jardins coréens étaient souvent réservés au roi et à ses proches. Le Biwon, à l’arrière du palais Changdeokgung, était un lieu de retraite où le souverain pouvait méditer, composer des poèmes ou discuter avec ses conseillers. Ici, pas de fontaines tape-à-l’œil, mais des ruisseaux murmurant et des pavillons discrets.
  • Une Nature « Sauvage » mais Maîtrisée : Bien que soigneusement aménagés, ces jardins donnent l’illusion d’être naturels. Les Coréens croyaient que la vraie beauté résidait dans l’asymétrie et l’imperfection, concepts centraux de l’esthétique asiatique (le wabi-sabi japonais en est un cousin).

Alors que Versailles était conçu pour éblouir, les jardins de Joseon visaient à apaiser. Ils reflétaient l’idéal confucéen d’un souverain vertueux, en harmonie avec son environnement. Même les fleurs étaient choisies pour leur symbolisme : les chrysanthèmes (longévité), les lotus (pureté), et les pruniers (résilience).

Deux Philosophies Opposées

ÉlémentVersailles (France)Jardins de Joseon (Corée)
ObjectifMontrer la puissance et la richesse du roi.Créer un espace de paix et de réflexion.
StyleGéométrique, symétrique, artificiel.Asymétrique, naturel, symbolique.
EauFontaines spectaculaires, jets contrôlés.Étangs calmes, ruisseaux discrets.
VégétationBuis taillés, arbres alignés.Pins, bambous, fleurs sauvages.
PublicOuvert à la cour et aux invités.Réservé au roi et à une élite.
SymbolismeContrôle, ordre, domination.Harmonie, méditation, respect de la nature.

L’Héritage des Deux Jardins

Versailles : Un Modèle Exporté dans le Monde

Les jardins à la française ont influencé l’Europe entière, des jardins de Peterhof en Russie aux parcs anglais (qui, ironiquement, ont ensuite adopté un style plus « naturel » en réaction à Versailles). Aujourd’hui, Versailles reste un symbole de l’art et du pouvoir à la française, attirant des millions de visiteurs chaque année.

Les Jardins de Joseon : Un Trésor Méconnu

Moins connus en Occident, les jardins coréens ont cependant inspiré l’art des jardins japonais et chinois. Leur philosophie de simplicité et d’harmonie résonne aujourd’hui dans les jardins zen et les espaces verts urbains modernes, où l’on cherche à reconnecter avec la nature.

Et Si Ces Jardins Existaient Encore Aujourd’hui ?

  • Versailles serait probablement un parc à thème ultra-luxe, avec des fontaines interactives et des drones-lumière pour des spectacles nocturnes.
  • Un jardin de Joseon serait un sanctuaire de mindfulness, où l’on viendrait méditer et se ressourcer loin de l’agitation moderne.

Deux Leçons pour Notre Époque

Ces jardins nous rappellent deux approches radicalement différentes de notre rapport à la nature :

  • Versailles nous montre que l’homme peut créer de la beauté en dominant son environnement – mais à quel prix ?
  • Les jardins de Joseon nous enseignent que la vraie élégance réside parfois dans la simplicité et le respect.

Alors, quel jardin préférez-vous ? Celui qui éblouit par sa démesure, ou celui qui apaise par sa sagesse ?

Et si nous devions choisir aujourd’hui, quelle philosophie appliquerions-nous à nos villes et à nos espaces verts ? Une question plus actuelle que jamais…

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